Le renouveau du montage dans les années 90



Traditionnellement,  le montage d'un film est la succession des plans visant à raconter une histoire, le rythme de cette succession de plan s'accordant au récit (rythme calme dans les scènes calmes, rythme plus soutenue dans les scènes plus spectaculaires).

Pourtant, dans les années 90, deux monteurs ont travaillé a contrario de ce schéma, et bousculé les codes établis : l'américaine Thelma Schoonmaker et le chinois David Wu. Tout les deux, chacun de leur côté, ont eu un raisonnement similaire sur le montage : le montage n'a pas à être l'esclave du scénario et du film. Les scènes importantes peuvent être montées rapidement, et les scènes anodines peuvent être étirées au maximum.

Thelma Schoonmaker est la monteuse attitrée de Martin Scorsese. Elle monte tout ses films depuis Who's that knocking at my door? (1967) (sauf Mean streets et Taxi driver) et refuse, à quelques exceptions près, de travailler avec d'autres réalisateurs (Mathieu Kassovitz notamment l'avait contactée).

Les affranchis / Casino

David Wu est un réalisateur et monteur hong-kongais. Il fait ses premières armes à 17 ans sur La rage du tigre de Chang Cheh, dont il monte l'incroyable séquence finale. Après plusieurs films, il est embauché par John Woo sur Le syndicat du crime (1986). Il est depuis considéré comme le monteur attitré de John Woo, même s'ils n'ont fait que quatre films ensemble.

A toute épreuve






Ces monteurs, en collaboration avec leur réalisateur, ont tout simplement décidé que le rythme du montage n'avait pas à se caler au rythme du récit.

Pour Martin Scorsese, "un film s'écrit jusque dans la salle de montage". Aussi, tout le travail de Thelma Schoonmaker est de monter le film, puis de le déstructurer, et enfin de le rebâtir, pour voir ce qui peut en sortir. Plusieurs pistes sont exploitées, mais elle précise tout de même qu'ils ne travaillent pas sans savoir où ils vont. A propos de son travail sur Kundun, elle rapporte dans un entretien :
"... après plusieurs projections de travail, Marty a décidé de repenser complètement la structure de son film. Nous avons abandonné la logique du script et cherché des moyens de déplacer des scènes par rapport au canevas initial, afin de trouver une tonalité plus dramatique. Il faut quand même se méfier et ne pas se laisser piéger en surmultipliant les solutions. Mais Marty a des idées très arrêtées. " Libération, 27 min 1998
De son côté, John Woo avait expliqué dans un entretien les méthodes de production à Hong Kong. Il était très libre, et faisait ce qu'il voulait, du moment que le budget était respecté et que le film était livré à temps. C'est comme ça qu'il filmait avec parfois jusqu'à seize caméras simultanées, avec des axes, des vitesses de défilement et des focales différents, en laissant ensuite à David Wu le soin d'en sortir quelque chose. Et c'est la multiplicité de ces prises qui a donné ce style très ample à ses films, avec de nombreux ralentis et redite de scènes.

Cette façon de faire sera d'ailleurs pillé jusqu'à plus soif par Hollywood. Le producteur Joel Silver va passer les années 90 à produire une série de films d'action (L'arme fatale 3, Une journée en enfer, Au revoir à jamais, Fair game...), avec les scènes emballées de la même façon, mais sans la charge émotionnelle qu'injectait John Woo dans ses films.

Idem pour Scorsese. Nombreux réalisateurs vont monter en utilisant quasi exclusivement le fondu enchaîné, mais sans chercher à copier au delà de la forme.

Si le style de montage a fait l'unanimité, il semble avoir été mieux assimilé que le fond. Et c'est dommage, car si la forme présentait autant d'originalité, c'est parce qu'elle mettait en valeur un scénario et une âme très forte (les deux réalisateurs sont des catholiques très croyants, dont la foi transparait dans chacun de leurs films), âme qui a été totalement oubliée par ceux qui s'en inspiraient.

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